C'est à partir du XVIIIème siècle, avec l'avancée des sciences, que plusieurs problème se sont réellement posés.
Pour
décrire les plantes ou les animaux qui sont rapportés des grands
voyages d'exploration, durant la Renaissance ou le XVIIème siècle, on
utilise une diagnose, qui est un petit texte en latin qui décrit
brièvement le spécimen. Cette méthode s'avère peu pratique et peu
scientifique.
L'autre problème est de différencier des spécimens qui se ressemblent sans être tout à fait les mêmes.
Prenons le cas des Coccinelles :
On constate qu'un même nom recouvre des animaux très différents.
En outre, le nom vernaculaire (populaire) varie selon les pays, voire selon les régions :
— bête à bon dieu en France
— ladybird en Angleterre
— Marienkäfer dans les pays germaniques
Une
véritable internationale de la science se constitue au XVIIIème siècle
qui comprend très vite qu'une telle situation n'est plus acceptable.
C'est
le suédois Carl von Linné (1707-1778) qui a fixé les règles de
dénomination des espèces, reprenant les idées du français Joseph Pitton
de Tournefort (1656-1708).
Carl von Linné
Une espèce se détermine par deux noms :
— un nom de genre, avec une majuscule, correspondant à un ensemble d'espèces proches. Exemple : Coccinella.
— un nom d'espèce, avec une minuscule, correspondant à l'ensemble des individus ayant un aspect semblable. Exemple : Coccinelle septempunctata (la coccinelle à 7 points).
On écrira donc : Coccinella septempunctata, Latreille 1807, ce qui signifie que l'animal a été nommé pour la première fois par le français Latreille en 1807.
Le loup gris : Canis lupus, Linné 1758
L'ouvrage le plus important de Linné est le Système de la Nature (1758) où l'auteur propose sa nomenclature et introduit des éléments de classification, reflet de la création divine.
Son exact contemporain est le français Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788).
Pour Buffon, la ressemblance entre les êtres vivants, n'est pas le critère principal de définition de l'espèce.
Pour lui, le critère fondamental est la capacité qu'ont des individus à engendrer un nouvel individu lui-même fertile.
C'est le critère d'interfécondité.
Buffon est connu pour son grand ouvrage baptisé Histoire Naturelle
parue de 1749 à 1789. L'ouvrage étant demeuré inachevé, c'est Bernard
Germain Etienne de Lacépède (1756-1825) qui l'achève entre 1788 et 1804.
Pour
la majorité des naturalistes du XVIIIème siècle, tels Linné et Buffon,
Les espèces ont été créées par Dieu et, comme telles, ne peuvent pas
subir de modification. Buffon parle parfois de modifications légères
apparues au cours du temps, qui ne remettent pas en cause ce dogme du fixisme.
Cependant,
en Angleterre, Erasmus Darwin (1731-1802) grand père de Charles,
s'intéresse aux fossiles découverts dans les mines. Il y voit une preuve
de la transformation des espèces et une remise en cause de la création
divine. C'est un critique sévère du créationnisme.
C'est
en France, pour la première fois, qu'un naturaliste va proposer une
théorie complète de la modification des espèces au cours du temps. C'est
le chevalier Jean-Baptiste de Monet de Lamarck (1744-1829) qui fonde le
transformisme.
Devenu professeur au Museum d'Histoire Naturelle de Paris, fondé pendant la Révolution, il publie en 1809 sa Philosophie Zoologique qui expose ses idées, notamment l'hérédité des caractères acquis.
Un extrait de la Philosophie Zoologique
Malheureusement,
les idées de Lamarck vont trouver en Georges Cuvier (1769-1832), un
adversaire implacable, qui présentera de façon ridicule les intuitions
de Lamarck, présentation qui perdure encore aujourd'hui.
Cuvier
est un très grand scientifique, fondateur de la paléontologie moderne.
Transformiste dans sa jeunesse, il devient véritablement un fixiste
obsessionnel dans la seconde partie de sa vie.
Sa définition de l'espèce est essentiellement fondée sur la ressemblance entre les individus qui en font partie.
Afin
d'expliquer l'existence d'espèces fossiles, il propose la Théorie de
catastrophes. Il y aurait eu plusieurs créations divines à la surface du
globe suivies de catastrophes, la dernière en date étant le Déluge. Les
fossiles seraient les traces des créations précédentes (les Révolutions de la surface du globe, 1825).
Quelques problèmes relatifs à l'espèce, à la spéciation et à la sélection naturelle
Dans une population d''une espèce donnée, la fréquence des allèles varie. Deux phénomènes jouent sur cette variation :
— la dérive génétique
— la sélection naturelle ou pression de sélection
Spéciation et hybrides interspécifiques
La
spéciation est le phénomène d'apparition d'une espèce. C'est un
phénomène très complexe dont on ne connaît encore pas toutes les
modalités (et de loin !).
Un exemple intéressant nous est donné par l'apparition du Pizzly qui fait partie de la famille des Ursidées.
Arbre phylogénétique des Ursidés
Arbre phylogénétique des Ursidés
Le Pizzly (contraction de Polar bear et Grizzly) encore appelé Grolar est apparu il y a quelques années en Amérique du Nord.
On sait aujourd'hui que le Pizzly est le résultat d'un croisement entre l'Ours polaire (Ursus maritimus) et le Grizzly (Ursus arcos).
Le Grizzly vit dans les forêt du nord des USA et du Canada.
L'ours polaire vit dans les zones de banquise de l'hémisphère nord.
Tableau de comparaison des caractéristiques de l'Ours polaire et du Grizzly
Le
Pizzly est donc un hybride interspécifique qui apparaît naturellement.
Les individus sont fertiles et peuvent se reproduire entre eux. Il y a
interfécondité. On peut donc se demander si le Pizzly n'est pas en train
de se constituer comme une nouvelle espèce.
On
peut supposer que l'habitat de l'Ours polaire étant en train de se
réduire du fait du réchauffement climatique, des petites populations se
sont retrouvées isolés. Pour perpétuer l'espèce, il y a eu obligation de
fécondation interspécifique.
Cette
séparation étant récente, les deux espèces ne sont pas suffisamment
éloignées génétiquement pour interdire l'interfécondité. Une autre
hypothèse tout aussi envisageable et de penser que le Grizzly et l'Ours
polaire ne sont que deux variétés d'une même espèce.
Cependant, on a pu obtenir un croisement fertile entre plusieurs espèces d'ours notamment l'ours à lunettes (Tremarctos ornatus, 52 chromosomes) et l'ours à collier (Ursus thibetanus, 74 chromosomes).
Croisements fertiles obtenus entre différentes espèces d'ours
Toujours dans la famille des Ursidés, un autre cas est intéressant, celui des pandas. Il existe deux espèces de pandas : le grand panda (Ailuropoda melanoleuca) et le petit panda ou panda roux (Ailurus fulgens). Leur aire de répartition est voisine.
Grand panda
Panda roux
Ces deux espèces ont été rapprochées car elles possèdent une même particularité, la présence d'un sixième "doigt", le fameux "pouce du panda".
Pattes du grand panda. A gauche, la patte antérieure. A droite, la patte postérieure
Ce doigt est en réalité l'extension d'un os du poignet, le sésamoïde. Il permet aux deux espèces, strictement phytophages, de tenir les pousses de bambous qui sont la base de leur régime alimentaire.
Squelette de la patte antérieure du grand panda (en bleu le sésamoïde)
L'étude d'une espèce fossile, Simocyon batalleri, a remis en cause le rapprochement phylétique entre les deux espèces. Simocyon était une carnivore de la taille d'un gros chat qui a vécu il y a environ 10 millions d'années.
Squelette de Simocyon batalleri
Reconstitution de Simocyon
On a constaté que Simocyon possédait lui-aussi une extension du sésamoïde alors qu'il était carnivore. On suppose que ce dispositif permettait à l'animal d'avoir une meilleur capacité de se déplacer dans les arbres.
Patte antérieur de Simocyon (en bleu le sésamoïde)
La présence d'un "pouce" surnuméraire n'est donc non pas liée au régime alimentaire mais au déplacement arboricole. De ce fait, on a pu établir que le grand panda et le panda roux était assez éloignés phylogénétiquement et que la présence du "pouce" n'est qu'une convergence forme — c'est à dire une forme proche due aux contraintes environnementales.
Arbre phylogénétique des pandas
Comme on le voit, la notion d'espèce est extrêmement difficile à définir avec précision.
Un
autre cas est celui des croisements entre les Félidés ou Félins. Toutes
les espèces appartenant à cette famille ont un caryotype 2N = 38
On
pourrait donc s'attendre à ce que les hybridations interspécifiques se
passent bien. On a en effet obtenu de nombreux hybrides.
Le Tigron, résultat du croisement entre un Lion et une Tigresse
Le Ligron ou Ligre, résultat du croisement entre un Tigre et une Lionne
Curieusement, dans les deux cas, la femelle est fertile mais le mâle est stérile.
On a pu aussi obtenir le Léopon, hybride entre un Lion et un Léopard femelle.
Alors
que tout ces hybrides ne sont obtenus qu'en captivité, certains
zoologistes estimes que le Lion tacheté du Kenya ou Marozi pourrait être
un Léopon naturel. Cette hypothèse est extrêmement critiquée par la
majorité des scientifiques.
On
a pu obtenir aussi quelques Titigrons, croisement entre un TIgre et un
Tigron femelle, aussi bien que de rares Liligres, croisement entre un
Lion et un Liligre femelle. Ces animaux semblent stériles.
Titigron
Liligron ou Liligre
Actuellement,
les scientifiques ne comprennent pas pourquoi des espèces aussi proches
que les différents félins ne donnent pas des hybrides entièrement
fertiles. Dans ce cas, le critère d'interfécondité s'applique sans
problèmes.
Comme
on le voit la notion d'espèce n'est pas sans poser de nombreuses
questions. Ces questions ont pour la première fois été abordées par
Charles Darwin (1809-1882).
Charles Darwin en 1878
Dans
sa jeunesse, Darwin est invité en temps que naturaliste, à faire un
long périple de 5 ans sur un navire appelé le Beagle qui est affrété
pour faire du relevé topographique.
Comme
on le constate, le Beagle va sillonner les mers du Sud. C'est lors d'un
arrêt de 2 mois sur les îles Galapagos que Darwin va élaborer sa
théorie de la sélection naturelle, en observant la diversité des Fringillidés
(pinsons) qui peuplent l'archipel. Les différents îles d'origine
volcanique (les îles Galapagos sont situées sur un point chaud)
présentent de très grandes diversités de climat et d'environnement du
fait des courants froids qui circulent dans cette zone (courant de
Humboldt et courant de Cromwell).
Les
pinsons des Galapagos se distinguent par la taille et surtout par la
taille et la forme du bec, qui varie en fonction du type de nutrition.
Par exemple, sur certaines îles, l'espèce présente une adaptation à une
nutrition exclusivement à base de cactus.
Pour Darwin, les différentes espèces de pinsons qui peuplent les Galapagos auraient pour origine un groupe d'oiseaux du genre Tiaris
qui auraient émigré depuis le continent sud-américain. La
diversification se serait alors faite en fonction de l'environnement,
par sélection du plus apte. L'isolement géographique des différentes
espèces aurait entraîné la spéciation
Après 20 ans de travail et de réflexion, Darwin publie en 1859, De l'origine des espèces par voie de sélection naturelle,
le livre le plus important de l'histoire de la biologie. Il est à la
base de l'évolutionnisme. Son importance dépasse de loin le seul domaine
de biologie car il remet en cause le dogme de la création divine.
Pour
Darwin, l'espèce étant en constante évolution, n'a pas d'existence bien
déterminée. C'est un groupe d'êtres vivants à contours flous qui est
utilisé comme facilité de langage. Seul l'individu a une existence
réelle.
A
peu près au moment où Darwin élabore sa théorie de la sélection
naturelle, un autre naturaliste Alfred Russell Wallace (1823-1913)
construit un modèle très proche.
Alfred Russell Wallace
Précurseur
de l'écologie scientifique, Wallace considère que l'espèce est non
seulement soumise à une concurrence entre individus mais subit aussi une
pression écologique due à l'environnement. Ce sont ces deux facteurs
qui aboutissent à la spéciation.
Au
début du XXème siècle, une nouvelle science fait son apparition : la
génétique. Elle va permettre au scientifiques de compléter l'hypothèse
de Darwin qui ne donnait aucune explication sur le moteur permettant la
sélection du plus apte au sein d'une population. Les notions de
mutations et de fréquence allélique vont y répondre.
La
théorie synthétique de l'évolution réunit trois domaines de la biologie
: le darwinisme, la génétique et la paléontologie, la reconstitution
des faunes et des flores disparues ayant fait des pas de géants au début
du XXème siècle.
L'un des représentant les plus éminents de la théorie synthétique de l'évolution est le zoologiste Ernst Mayr (1904-2005).
Selon
Mayr, "Les espèces sont des groupes de populations réellement ou
potentiellement capables de se croiser et qui sont reproductivement
isolés des autres groupes ayant les mêmes propriétés" (1942).
Le schéma ci-dessous propose un modèle récent assez partagé de la spéciation.
Modèle simple de l'évolution selon la théorie synthétique
.
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